Conférence - débat de Patrick Williams ethnologue au CNRS sur les relations entretenues entre les familles des communautés du voyage et l'École...

Conférence donnée le 12/12/2001 sur le terrain dans le cadre REFME (Relations Ecoles / Familles des Minorités Européennes)

1/ la contextualisation :

L'importance du contexte lié à la scolarisation et en particulier celui de la France qui pratique une action concertée depuis 1969.
L'institution scolaire prend en compte la diversité des modes de vie et tente d'apporter une réponse spécifique via une scolarisation spécifique adaptée.
La fréquentation et l'assiduité à l'école est déterminée par toute une série de contraintes matérielles de l'ordre des horaires à respecter, des papiers administratifs à fournir, à remplir... Auxquels s'ajoutent les problèmes liés au stationnement des familles...

La représentation de l'école que s'en font les familles est à relier à la représentation du monde des gadjé qui peut se simplifier à l'expression du "nous et eux", l'école fait partie du monde extérieure des gadjé...
L'attente des familles vis à vis de l'école est un apprentissage des us et coutumes de l'univers des gadjé de façon à pouvoir être ré-investi dans un usage quotidien, par exemple, la chine...

Or, ceci est en total décalage avec la portée universaliste de l'École et son idéologie du "tous égaux".

2/ l'interculturalité :
a- le rapport au temps
Il n'est pas le même entre les communautés, il n'est pas vécu et représenté en continue, le rapport à l'histoire est justement de ne pas en avoir, de ne pas laisser de traces et de vivre le moment présent...

b- le facteur individuel
Il est nié par l'institution Éducation Nationale, la formation des maîtres est la même pour tous et les objectifs scolaires sont nationaux.
D'où l'importance de l'investissement personnel de l'enseignant lorsqu'il travaille avec des enfants du voyage.

Du côté des familles, on assiste très souvent à une grande hétérogénéité de l'intérêt porté à l'école par les enfants, si l'enfant est volontaire, il ira à l'école et s'il n'aime pas on ne le poussera pas. Le respect des dispositions individuelles est souligné.

D'un autre côté, il n'y a pas d'individus isolés, un individu fait toujours partie intégrante d'un réseau familial et au delà d'une communauté et c'est dans cette articulation individu-famille-communauté que proviennent la plupart des difficultés rencontrés lors de la scolarisation des enfants puisque l'appartenance ethnique n'entre pas dans le cadre de l'école.
Exemple de l'illétrisme qui n'est pas vécue de façon dramatique, il y a toujours quelqu'un qui est là pour répondre à une attente, la lecture ou l'écriture d'une lettre...

3/- les apprentissages :
a- dans le cadre de l'école
Les apprentissages à l'école sont des apprentissages spécialisés sous forme d'activités circonscrites dans le temps.
Le temps institutionnalisé de la journée scolaire est absurde pour le voyageur qui ne comprend pas pourquoi tout s'arrête à un moment dicté par une horloge...

b-dans le cadre de la famille
Les enfants sont indissociables de la famille, ils sont présents tout le temps et participent à tous les événements petits et grands qui rythment la vie des familles.
Ainsi, les pratiques sont vécues et apprises par imprégnation dans la vie de la communauté. Par la suite, elles sont ré-appropriées par le biais de jeux et différenciées selon son appartenance sexuelle, celles des femmes pour les filles et celles des hommes pour les garçons.

c- caractéristique des apprentissages
Ils sont picorés en fonction de la situation et de l'envie mais il ne faut pas voir de déterminisme entre cette façon discontinue de piocher des savoirs et la réelle polyvalence des activités des adultes. La polyvalence est la marque de l'appartenance à un réseau communautaire où chacun est inter-relié avec le reste du réseau.

4/- interculturalité et scolarisation
a- les représentations de l'école par les familles
Elle a un rôle uniformisateur, elle écrase les minorités culturelles, c'est l'école des gadjé on y dispense des apprentissages de gadjé...
L'école est vécue en terme d'opposition par rapport à ce qui pourrait caractériser l'habitus des gens des communautés du voyage.
L'habitus étant au sens où le définit Bourdieu, un ensemble de choses et de façon d'être qui ne sont pas à proprement parler des traits culturels, une spécificité culturelle...
L'habitus est ce qui caractérise l'appartenance à une communauté et qui se retrouve dans la façon de bouger, dans l'intonation du langage, dans la gestuelle, la façon d'être... Qui fait que d'une manière infaillible on se reconnaît... Tout est dans l'ordre de l'implicite.

b- les effets de 30 ans de scolarisation
la scolarisation des populations tsiganes est caractérisée par des périodes d'activisme intense suivies de phases de désengagement institutionnel tout aussi profond.
On observe sur ces années, une alphabétisation plus ou moins efficace avec en particulier une différence très marquée entre la Lecture et l'Écriture.
La nécessité de savoir lire est une obligation dictée par le quotidien elle est d'un usage courant tant au niveau des activités professionnelles que domestiques.
L'écriture elle est moins importante dans le cadre du quotidien, on en perd l'usage, "on a su mais on ne sait plus..."
Là encore prend tout le sens de l'appartenance à une communauté où la lecture y est appropriée individuellement et l'écriture en tant que compétence particulière est un savoir spécifique partagée au niveau communautaire.

5/- la fraîcheur
Une notion empruntée à l'univers des communautés du voyage, un concept qui caractérise tout ce qui va de l'avant par opposition à ce qui est immobile... Qui pourrit sur place...
On retrouvera cette notion pour ce qui définit les individus, quelqu'un de frais est quelqu'un qui bouge, qui est actif , vaillant, curieux, débrouillard...

Il est possible d'intégrer cette notion dans les activités pédagogiques en favorisant tout ce qui est nouveau comme par exemple, produire un disque, un film, écrire un roman-photo etc...
Les innovations techniques et technologiques permettent d'apporter une fraîcheur dans la façon d'appréhender le monde et renforcent l'aspect utilitaire de l'école appréhendée comme étant l'organe de transmissions des outils visant à traduire et conquérir le monde des gadjé. Ce qui devrait permettre de renforcer l'interculturalité des deux populations "Eux et Nous".

 









Propos retranscrits et diffusés avec l'aimable autorisation de monsieur Patrick Williams

Ecole d'adaptation des Gens du Voyage

 


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